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Denise Pelletier

Artiste-graveur

mercredi 11 mars 2009, par Denise Pelletier

 Ma démarche artistique

Dès le début de ma démarche mes œuvres s’inscrivent en suites répétitives. Ces suites se transforment en installation de par la quantité de choses réalisées. La suite pour moi est un rituel qui me permet d’observer, d’apprendre, de faire des choix, une manière de ne pas fermer l’œuvre.

Jusqu’ici, j’ai composé singulièrement autour de la fragilité, de l’intime, du féminin et du temps.

L’artiste n’est pas celui qui sait, il est celui qui cherche.

Mon langage pictural repose sur la dualité de deux principes : l’un gestuel intuitif, l’autre formel de l’ordre d’un choix esthétique. Les œuvres ainsi réalisées ne sont pas des lieux de représentation, elles sont plutôt des espaces de réflexion, de création et de vertige.
L’essentiel est là quand je m’approche de la fragilité des choses.

Au commencement … les mots, ceux nichés au fond des livres, surtout ceux des poètes, aussi ces mots entendus, indiscrétions involontaires, attrapés dans le bus, sur la rue, dans l’intimité ou dans la foule. En silence j’écoute les bruits de la vie, ses mots m’effleurent, me touchent, m’envahissent, m’habitent. Dans la solitude de l’atelier je les ré-entends, les ré-écrits, sur un fond blanc je les étale comme médium, comme signes, comme formes, je les reconstruits bride par bride afin d’en déployer les rythmes intérieurs. Je griffe la matrice, le papier, jusqu’à ne plus voir, ne plus comprendre, j’efface, je cache, je voile et donne à voir l’infinie présence du silence après le bruit, ce lieu ultime. La fluidité de l’encre, l’impermanence du graphite coopère à cette écriture de l’intériorité. Le diaphane du support, la fragilité du papier sont des réceptacles privilégiés comme chambre d’écho ou désert de l’imaginaire. Nids de papier d’une volubilité éclose.

Avec le temps …le voyage comme atelier, comme matériel, le dépaysement comme canalisateur d’énergie. Être physiquement présente, m’immerger dans un lieu spécifique fait partie intégrante de mon travail pour élaborer mon projet que je qualifie d’empreinte expérimentale et qui ne sera jamais que mon point de vue, ma version de moments vécus.

Douée d’une curiosité insatiable mon travail est en perpétuelle mutation et je ne peux pas préciser plus avant mon projet qui se modifie de toute façon selon les rencontres, les opportunités.

 Avant pli et pluie

Le texte qui suit est ma réponse à un site sur l’art que l’on peut visiter ici.

Parfois je ne supporte pas l’inspiration, alors je dessine étouffé. Je deviens hermétique.

Je tente ici de répondre à votre projet sur la créativité. Je suis heureuse de participer à votre recherche et c’est à bonheur que j’y réponds.

Dès l’enfance je possède cet esprit artistique venu des générations de fibres textiles qui coulent dans mes veines…. J’ai fait mes premiers pas appuyée sur des pièces de lin, celles de laine, j’ai effleuré les soies, pressé les cotons…
Les batistes, les broderies anglaises, les dentelles, les marquisettes, les organdis, les tulles, les voiles, sont mes livres d’enfant….

Mes papiers d’aujourd’hui m’entourent de la même manière, je les choisi pour leurs affinités électives, tons, textures, papiers fins, papiers bruts, matières mémorisantes …text-iles. Le papier est une matrice souple qui accueille l’écriture de l’intériorité, comme le textile garde la trace du corps dans ses plis.

J’use souvent de papier voile sur lequel je dépose de fines pellicules de matières fragiles ; de la nacre, de l’encaustique, des fragments de rubans gommés … l’expérimentation de ces multiples matériaux donne à voir des compositions particulières. Le diaphane du support, la fragilité du papier, sont des réceptacles privilégiés comme chambre d’écho, mémoire entaillée ou désert de l’imaginaire.
La fluidité de l’encre, l’impermanence du graphite et une esthétique de l’éphémère coopère à cette écriture.

De tout temps, le papier demeure mon support de prédilection et plus fort il résiste à mes eaux-fortes, mes pointes sèches d’aujourd’hui.

Dès le début mes œuvres s’inscrivent en suites répétitives. Ces suites se transforment en installation de par la quantité de choses réalisées. La suite pour moi est un rituel qui me permet d’observer, d’apprendre, de faire des choix, une manière de ne pas fermer l’œuvre. Jusqu’ici, j’ai composé singulièrement autour de la fragilité, de l’intime, du féminin et du temps. J’ai développé autour des mots, certains mots, ceux nichés au fond des livres, surtout ceux des poètes, aussi ces mots entendus, indiscrétions involontaires, attrapés dans le bus, sur la rue, dans l’intimité ou dans la foule. En silence j’écoute les bruits de la vie, ses mots m’effleurent, me touchent, m’envahissent, m’habitent. Sources intarissables.

Florilèges, fardeaux de mémoires ou saisons froissées, les mots sont là pour cogner le silence ….. prétextes à ma re-création….. Les mots m’inspirent m’enveloppent, m’enroulent et je crée… je les ré-invente … et le support tout autant que sa charge sont le refuge d’une éternité pliée. Habitée de mots je caresse la plaque, je crée … Là, sur le papier mémoire le dialogue entamé … je cherche la lenteur …dans la solitude de l’atelier je les ré-entends, les ré-écrits. Sur un fond blanc, je les étale comme médium, comme signes, comme formes. Au commencement, d’un premier jet j’occulte la page, j’écris, je dessine, je note, je rature … un long rituel, une spire sans fin, puis j’efface et il n y a plus que les traces d’un mouvement capricieux…un dessin étouffé. Mes carnets de croquis sont pleins de graphes et de griffes, vides….

Je les reconstruits bride par bride afin d’en déployer les rythmes intérieurs. Je griffe la matrice, le papier, jusqu’à ne plus voir, ne plus comprendre, j’efface, je cache, je voile et donne à voir l’infinie présence du silence après le bruit, ce lieu ultime. Image présente d’un passé, d’un avenir à venir.

Mon langage pictural repose sur la dualité de deux principes : l’un gestuel intuitif, l’autre formel de l’ordre d’un choix esthétique. Les œuvres ainsi réalisées ne sont pas des lieux de représentation, elles sont plutôt des espaces de réflexion, de création et de vertige.

Avec le temps … le voyage comme atelier, comme matériel, le dépaysement comme canalisateur d’énergie, être physiquement présente, m’immerger dans un lieu spécifique fait partie intégrante de mon projet que je qualifie d’empreinte expérimentale, qui ne sera jamais que ma version de moments vécus. La pensée créatrice s’allume en croisant l’inconnu, l’inattendu, l’accident, le désordre, l’absurde et l’impossible.

J’ai souvenir ici d’un vernissage où avant le dévoilement de l’œuvre primée, on avait posé un grand papier au mur. Je tournais en rond autour de la salle et je revenais sans cesse au grand papier, fascinée, émerveillée ; j’interpelle une connaissance venue là en lui affirmant que de loin la plus belle pièce de l’expo était là, regarder ces plis, les lumières, les inégalités de la matière, la fragilité de son contour, un poème visuel dans toute sa splendeur, pureté du geste, simplicité, sobriété. Qu’elle maturité, une philosophie de l’impermanence, une esthétique de l’éphémère. Tout est là, un art de la rencontre. QUEL BONHEUR !

Non…

Elle n’était pas du même avis, car ce papier c’est elle qui l’installe, qui l’emporte dans son bagage, qui l’utilise à bien des évènements pour maintes raisons. C’était la personne responsable du montage de l’exposition, elle en usait pour cacher au public l’œuvre primée avant l’ouverture.

Oui …

La créativité est déclenchée par un germe et aujourd’hui elle n’a pas ce germe, mais aujourd’hui elle a un début de folie qui en soi est une création valide … oui parfois … c’est aussi cela … ma création.

Quel bonheur de voir ainsi, aussi différemment que le commun des mortels. Manque de jugement, de formation, de connaissances, peut-être pour certains. Mais je suis si pleine de ce manque que je vois tout ce qu’il y a à voir, rien de plus, rien de moins.
Je dis souvent que l’artiste est privilégié de posséder ce don, cette capacité de ré-action/cré-ation. Oui l’artiste pose un regard différent sur la vie car il voit autrement le quotidien, l’artiste s’extasie en levant les yeux sur la toile d’araignée, en flânant sur le bitume gazéifié, le pavage fêlé, sur un fragment inconnu, rouge sali. L’artiste savoure la poésie d’une couleur passée, d’une bruine matinale, d’un organdi de givre, d’une dentelle d’ombres, il se trouble aux bruits du vent, aux chants du lac, au ressac de la mer, aux grondements de tonnerre. Contemplateur, c’est dans ces moments privilégiés qu’il attrape la lenteur, qu’il écoute, qu’il entend, qu’il enregistre, qu’il collectionne, sélectionne, trie, mémorise. L’artiste vit là sa solitude au milieu de la foule. Elle approfondie la vie, é-crit

Nids de papier d’une volubilité éclose.

elle écrit sur la page blanche
avec le doigt suit les fibres du papier
jusqu’où la main rencontre le grain
secrète volupté
elle retient son souffle
devine des ailleurs
suscite des effleurements immédiats
……………………………………..

Mes suites : monologue-dialogue, la marelle, un jardin grand comme un grain de moutarde, reliquaires pour morceaux de soi, donner à voir aveugles I see, brides bavardes, confidences minimales, journal intime, encyclopédie singulière, tambour d’eau, bleu misao, les griffes dans l’eau, j écris au toucher, sur un fond blanc, pli et pluie. Dans chacune je m’averse, m’orage de tous ces mots…. pour créer des signes de transparence en encre d’haleine, des taches d’ombres…

 Pli et pluie

La suite de cette réflexion dans le très beau texte de Mme. Marie Lachance, historienne de l’art ici à Québec.

De coexistences et d’intériorité, l’idiolecte de Denise Pelletier
Dualité. C’est cette notion qui, dès l’abord de Pli et pluie de Denise Pelletier, m’apparaît avoir prépondérance sur toute autre. Mais d’une dualité qui se définirait par la rencontre de l’avers et du revers d’une même chose. De deux pôles, qui, bien plus que de s’opposer, se compléteraient, se feraient écho. Le plein coudoie ainsi le vide, le blanc fréquente le noir. La masse imposante et infrangible trouve résonance dans la ligne incisive et agitée, l’opacité, dans la transparence. Au cœur de cette apparente disparité, un fil d’Ariane : le mot. Il est la clé de voûte, la matière première de l’œuvre. Il est la source pérenne à laquelle la graveuse puise toute son inspiration.

Passages de textes, fragments de poèmes, extraits d’articles de journaux ou bribes de conversations attrapées dans le brouhaha d’une foule pressée et anonyme, l’artiste extirpe ainsi des locutions, qu’elle dépouille de leur peau primitive. Ces phrases, ces mots perdront en effet
leur sens originel pour devenir des mots souche, à partir desquels s’édifiera un langage graphique personnel. Des formes abstraites dotées de parole. Car les mots, noms communs ou noms sujets, même retirés de leur contexte, ne sont pas vides de sens ; ils ne sont pas choisis pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils incarnent. Les mots pleins, germes d’images, matrices de sentiments. Les mots qui ne peuvent être que visuels. Consignés tout aussi instinctivement que subrepticement dans des cahiers destinés à cette fin, ils se soudent à d’autres vocables, recueillis de la même façon il y a des semaines, des mois, des années. Il aura fallu une sensibilité et une réceptivité artistique, celle de Denise Pelletier, pour que cette pluralité linguistique se fonde en une singularité langagière. Puissante et éloquente.

Paroles écrites, mots parlés et parlants prennent donc vie dans le silence de l’atelier. Silence et parole : dualité, complémentarité. La graveuse, comme beaucoup, voit son quotidien battre au rythme des verbes « se presser », « trimer », « planifier », « être à l’heure », « ne pas oublier ». Quand elle franchit le seuil de l’atelier, quand elle défie ainsi le temps, s’intériorise et cherche le silence dans cette atemporalité, génératrice de courts – mais ô combien chers – instants de sérénité, elle est au cœur du dualisme, elle le vit de l’intérieur : agitation versus arrêt.

Ici, dans cette thébaïde, baignant dans les mots porteurs de sens et faisant la sourde oreille aux verbes oppressants qui dictent nos vies, l’artiste élabore, de manière pulsionnelle, une suite d’œuvres. Des eaux-fortes et des aquatintes. Ici se détache une nouvelle dichotomie, celle qui cherche à s’établir entre l’esthétisme et l’intuitif, mais qui, au final, n’autorisera jamais le beau à l’emporter sur le viscéral. Car l’artiste laisse libre cours à cette folle et incoercible envie de dire, de verbaliser. Aller au bout de soi, au bout de ce qu’on ressent à travers ce qui a été dit, ce qui a été écrit. C’est en atelier que Denise Pelletier calme cette faim-calle, ce manque perpétuel de ce qui lui est nécessaire pour vivre : les mots. Jusqu’à la prochaine tourmente, jusqu’au prochain débordement, jusqu’à la prochaine urgence de créer. Alors, tout comme pour Pli et pluie, elle donnera naissance à des schèmes, à des calligraphies spontanées qui ne figurent dans aucun dictionnaire, qui ne sont issues d’aucune langue connue et qui entraînent celui ou celle qui y pose son regard dans les confins de l’âme, dans les profondeurs des sentiments, lui faisant goûter un peu de cette sérénité. Tout comme pour Pli et pluie, elle fera parler l’abstraction, comme autant de mots émanant de l’invisible, comme autant de perceptions, d’appels à l’esprit qui font s’opposer le fragile et l’imposant, le claire et le sombre, le pli qui casse et la pluie qui coule.

Par une intuition de la matière, par une sensualité de la forme, la graveuse commute (d’élément linguistique à élément visuel) et poétise le langage. Mais ce transcodage impressif n’est jamais statique. A contrario, il donne à voir un univers vibrant. Comme le son puissant d’un mot prononcé à voix haute. Peut-être cette force vibratoire s’installe-t-elle dès le premier geste créateur, dans la chorégraphie inhérente à l’exécution d’une eau-forte ou d’une aquatinte, où la gestique, très physique et répétitive, impose le mouvement, réfute toute inertie. Ou peut-être cette force vibratoire tient-elle de la dualité. Justement. Le tangible ne dialogue-t-il pas ici avec l’impalpable, l’intériorité avec l’expressif ? Ces antinomies – ces coexistences – ne forment-elles pas un tout parlant, qui, par-delà l’abstractionnisme, fait appel à ce que nous avons de plus commun, en s’adressant à notre humanité ? Et c’est peut-être au fond ce que l’artiste cherche à figurer, de par cette syntaxe, cette verve visuelle qui lui est propre : la nature humaine ; à travers ses contradictions, dans ce qu’elle présente de plus complexe, dans ce qu’elle a de plus complet.

Marie Lachance
avril 2005

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